Samedi 26 mai à 20h30
« Un » qui veut traverser est un héros sans identité précise. Il se définit juste par cette volonté de quitter son foyer. Il représente à lui seul la masse des migrants illégaux, d’où qu’ils partent. Sa nationalité importe peu, elle n’est jamais donnée. Il est d’un pays d’où il est interdit de partir. Il sera aussi bien ouvrier d’usine, géographe, journaliste. Au fil du récit, c’est comme s’il se démultipliait selon différentes trajectoires, comme s’il pouvait mourir et renaître. Ce texte est un récit choral où la narration est tissée dans les dialogues, sans que l’on puisse démêler tout ça en distinguant bien l’action de la parole. Si son sous-titre est « didascalie », c’est qu’il se définit avant tout comme la description d’un « geste » (un peu au sens épique) décrivant les actes et les circonstances dans lesquelles ces combats – sans arme mais bien mortels, ont lieu. Le nombre de corps nécessaire pour incarner la pièce est libre. Le soliloque est la solution la plus commode, elle revient à mettre en scène un « messager au présent », une sorte de conteur, incarnant et vivant chaque situation, étant à la fois l’observateur et l’observé. Mais il est clair aussi que la pièce appelle des voix multiples, sans que l’on puisse faire une distribution très stable. Ce texte laisse donc au metteur en scène sa part de dramaturgie.
Marc-Emmanuel Soriano

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EXTRAIT

Sur une plage il y en a un qui veut traverser, avec un autre qui ne veut pas le

faire traverser, non, sur la plage il y en a un qui doit traverser, avec un autre qui ne

devrait pas le faire traverser, non, sur la plage devant une barque qui clapote, il y

en a un qui ne peut que traverser, avec un autre qui ne peut que le faire traverser,

puisque la barque est à lui, apparemment, donc, d’un côté il y en a un qui pense

qu’il doit absolument traverser et de l’autre, un qui sait qu’il ne faut pas traverser,

non, regardant la barque, il y en a un qui croit qu’il va enfin traverser ce soir la

baie, et un autre qui sait qu’il y a peu de chance que ça arrive, à cause des courants,

à cause des tempêtes, à cause des garde-côtes, donc, un qui n’a pas le choix

de ne pas traverser, avec un autre qui n’a pas le choix de ne pas louer sa barque,

tant le désir de traverser est dévastateur, donc un qui va traverser, avec un autre

qui va lui faire croire qu’il va traverser

non, un qui donne tout ce qu’il a pour traverser avec un autre qui est obligé de

le faire traverser, non, un qui a décidé depuis longtemps qu’il ferait la traversée,

avec un autre qui lui demande s’il est sûr de vouloir partir, non, un qui s’approche

de la barque avec l’autre dedans qui rapièce son filet et qui sait très bien au premier

regard ce que vient faire là ce rôdeur, réserver une place pour une traversée la

nuit, encore un pense-t-il, mais il n’y a plus de place, il le lui dit à peine a-t-il posé

sa main fébrile sur la rame qui dépasse à l’avant de la pirogue

Mise en voix

par et avec Stanislas Nordey

Durée : 1h