Festival Focus à Théâtre Ouvert F.T.O#2

Le Brady, cinéma des damnés

Jeudi 19 novembre à 19h30

Ce livre propose la « biographie d’un lieu », Le Brady, dernier cinéma permanent de quartier parisien. L’auteur, qui y fut projectionniste dans les années 2000, a tiré de cette expérience un texte foisonnant, drôle et informé. Il met en scène ses collègues, son propriétaire Jean-Pierre Mocky, les fondus de films « bis » (fantastique, gore, kung-fu, western-spaghetti voire moussaka, porno), mais aussi d’autres spectateurs atypiques (sans-logis, retraités maghrébins, amateurs de brèves rencontres), et tous les riverains occasionnels (prostituées, coiffeurs afro, soiffards).

Le brady, cinéma des damnés reconstitue la mémoire des années turbulentes d’une salle obscure inclassable, comme le documentaire subjectif qui s’en inspire. Une somme inventive et attachante qui satisfera la curiosité de ceux qui croient encore que l’aventure est au coin de la rue.

 
Extrait :
 
LES HABITANTS DU BRADY
Il était toujours là. Au 39 boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement de Paris. Normalement, ce cinéma de quartier aurait dû disparaître. Depuis les années 80, au moins. Comme les autres. Mais le mot « normal » et le Brady ne se sont pas côtoyés souvent.
Ce cinéma, c’était un peu le Titanic. Avec une originalité : il n’arrivait jamais à couler définitivement. Sa fermeture était sans arrêt annoncée, et pourtant il était toujours là, penché au bord de l’abîme. Un Titanic canard de bain, on le pousse vers les abysses et il remonte.
Pour certains, le Brady était comme une bouée, c’est qu’ils avaient presque touché le fond.
Quand j’ai commencé à y travailler, en octobre 2000, un seul employé devait tenir la caisse, projeter les films et plus ou moins surveiller ce qui se passait dans la salle. Une tâche difficile.
— Tu parles ! Y’a des taches que j’arrive pas à nettoyer ! Ils ont du sperme de chacal ! pestait Daniel, l’homme de ménage. Un grand maigre aux cheveux longs, à la barbe christique de hippie revenu d’Inde, qui terminait son boulot quand j’arrivais. Il les frottait, les astiquait, ces dossiers de sièges.
À 13h30, j’ouvre le cinéma. Devant les grilles, ils commencent à s’impatienter. Bouboule s’approche avec son litre de bière et sa grosse tête. Il termine sa canette. « Kadhafi » crache dans la rue avant d’entrer. Il a un peu l’air du dictateur – d’où le surnom. Sauf qu’il n’a pas son style fantaisie, il porte une parka verte défraîchie et un gros bonnet gris, hiver comme été. Claude, le petit bossu, se hâte en claudiquant dans l’escalier. D’une main tremblante, il s’aide d’une béquille trop courte, probablement trouvée, qui l’oblige à avoir une démarche encore plus bancale.
Nos spectateurs sont presque tous des estropiés, mais il n’y a pas de rampe dans cet escalier. En plus, la marche piège et ses quelques centimètres de plus que les autres, trouve toujours le moyen de faire trébucher ceux qui remontent. Un client pose des questions. C’est un spectateur normal, pas un habitué. Une exception par ici. Les autres ne disent rien, ils connaissent par cœur. Ce qu’ils veulent c’est se coucher et dormir, pas regarder un film ou poser des questions.
Se coucher n’est d’ailleurs pas le bon mot, sur un fauteuil de cinéma on s’affale, les accoudoirs ne se relèvent pas. Si nos spectateurs se couchaient, le cinéma ressemblerait trop à un dortoir. Ils dorment donc assis. Ils préfèrent ça plutôt que de d’aller dans un foyer pour sans-abri, les chaussures attachées autour du cou pour pas qu’on te les vole, ou dans la rue, la bouteille sous le cou pour pas qu’on te la siffle.
Dormir le jour peut paraître curieux, pourtant la plupart des hommes sans logis dorment le jour. Par peur des agressions. Alors tant qu’à faire, dans une salle obscure, on peut au moins s’imaginer que c’est la nuit.

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En partenariat avec les éditions Verticales

par et avec Patrick Pineau

Durée : 50 min
Petite Salle