Festival L’Incroyable Matin & Jour

Entretien croisé Nicolas Doutey – Rodolphe Congé

Rodolphe Congé a découvert l’écriture de Nicolas Doutey comme comédien lors d’une session de travail menée à Théâtre Ouvert par Alain Françon en 2011. Il met à présent en scène cette écriture elliptique non dénuée d’humour où la parole est au coeur de l’acte théâtral. 

Rodolphe Congé L’Incroyable Matin et Jour sont deux pièces courtes d’une quarantaine de minutes chacune.

Nicolas Doutey : Ce sont deux pièces courtes indépendantes, je ne les ai pas écrites comme une suite ou comme un diptyque. Même si on y retrouve le même prénom Paul.

RC. Et il y a d’autres résonances entre les deux pièces, l’une se passe dans un intérieur et l’autre en extérieur, mais à chaque fois il y a trois personnages, qui se posent notamment des questions par rapport au lieu où ils sont. Il y a ceci de particulier dans ces pièces, et dans ton écriture, que les personnages ne sont pas en conflit entre eux. Chacun a des problèmes singuliers, mais ils s’entraident.

ND. C’est un côté peut-être un peu utopique, mais auquel je tiens : dessiner des comportements qui font que les choses se passent plutôt bien. Ça passe notamment, je crois, par un certain rapport à la parole et à l’écoute.

RC. Ils s’écoutent et ils s’entendent, et ils tentent de construire en commun, de s’accorder. De ce point de vue c’est comme une micro-expérience de la démocratie. Et leur terrain commun, c’est la langue, une langue qui leur appartient, qui n’est pas celle que nous parlons tous les jours : de même qu’une langue constitue un peuple, ce langage particulier constitue chez eux une petite communauté.

ND. Oui mais c’est en même temps une langue ordinaire – au sens où ça travaille sur du langage courant, et où la parole est toujours branchée sur les situations, les interactions, les comportements.

RC. Et il y a un plaisir à écouter cette langue musicale, par laquelle ils expriment spontanément et très précisément des choses qu’on ressent tous mais qui restent à la limite de la conscience. Ils verbalisent des sensations infimes (vécues réellement par les acteurs sur le plateau). Il y a peu de hors-champ, de référence à un avant ou à un ailleurs : la fiction se construit sous nos yeux, en direct, à partir de sensations présentes – quelque chose ne va pas dans cet endroit, j’ai peur, je ne me sens pas à ma place, j’ai un peu envie qu’il parte…

ND. J’essaie d’écrire au plus près de ce que j’imagine être l’expérience théâtrale, c’est-à-dire un présent « réel », partagé, dans un espace. Beaucoup travaillent ça dans des formes non ou peu textuelles, et le texte de théâtre peut le faire à sa manière. J’aimerais que le texte permette de « susciter » du présent, que la fiction se développe en adhérant à la réalité du plateau et du théâtre – on est au théâtre, on ne va pas l’oublier, et comment faire en sorte que la fiction accueille ça.

RC. Les acteurs mettent en place sous nos yeux une expérience à laquelle on assiste. Ça se rapproche de la performance, et si la forme est travaillée dans l’écriture, c’est pour permettre de reproduire la performance. Mais il y a une histoire, de la fiction, des situations… Ce n’est pas un théâtre « contestataire » au sens où il serait dans une dynamique d’exclusion. Ton écriture cherche à avancer, mais en accueillant plutôt qu’en excluant.

ND. La dimension de l’adresse est très importante pour moi, j’aimerais bien que ce soit inventif évidemment, mais pas pour autant réservé à des « privilégiés », j’aimerais aussi que ce soit adressé, ouvert, et en prise avec l’expérience réelle des spectateurs.

RC. Tes pièces travaillent aussi dans une veine comique. Dans la construction il y a quelque chose de la mécanique comique de la chute, dans la manière dont les personnages cherchent, se trompent, échouent, et recommencent ; ils prennent des chemins de traverse, inattendus. Et c’est très joyeux.

ND. En tant que lecteur ou spectateur ou visiteur, les œuvres qui me plaisent et m’intéressent le plus sont souvent celles qui produisent de la jubilation. Alors si c’est joyeux tant mieux.

RC. Ton écriture est très fine, intelligente, et c’est simultanément extrêmement drôle.