Nos braves utopies – Jamais Lu#3

Il ne faisait pas férocement beau dans leur époque.

Grosse grisaille – tempêtes fréquentes – poudrerie.

Autour d’eux il neigeait de la grosse slotche de printemps mal arrivé.

Sur les tribunes on s’insultait vaillamment – les urnes restaient vides à plus de 35% – ailleurs on élisait des clowns friands d’orgies – ici on époussetait les trônes pour des banquiers. Sale temps pour les rêveurs aurait-on dit.

Et pourtant ils se tenaient debout – dehors au grand vent – en pleine rue.

Pile poil dans leur monde et malgré tout joyeux – l’esprit comme un sonar.

Pour ne pas s’abîmer dans le convenu – dans l’assentiment mou – ils ont regardé autour à pleins yeux – ils ont pris acte – ils ont empoigné leur mac.

Ils n’étaient pas au-dessus des autres ni tout à fait enterrés sous les circulaires et les tracts – ils étaient parmi leurs semblables – ils étaient avec.

Ils se sont dit : soyons des lanceurs d’alertes.

Soyons romantiques – bravement utopiques – soyons à cheval sur les frontières.

Devenons peu à peu les autres à force d’empathie.

Débusquons jusqu’au bout des chemins convenus une silhouette reconnaissable – embrassons même encore les morts qu’on a aimés – leur parfum dissipé.

 

Nous on était là – juste à côté d’eux – foulant les mêmes rues de deux continents – voyant en reflets nos gueules d’ahuris dans les vitrines des mêmes H&M et saluant les mêmes vendeurs de toc prêt-à-jeter sur le continent plastique.

On avait tous grave envie de rencontre – de retrouvailles – d’ensemble.

On avait des passeports toujours en règle – des identités faciles à faire bouger.

Alors on a cherché une maison ouverte à la fête – elle est ici.

On a inventé des stratagèmes pour vous convier – vous êtes venus.

On a mis partout des tapis invisibles où c’est écrit : bienvenue.

On s’est fait un peu beaux pour vous raconter comment le monde tourne de travers.

Pour la gaieté du geste on va se créer du neuf – sève noire à pleine pages blanches – et que s’écrive en lettres lisibles : Maintenant. Nous. Sommes. Là.

On devient écho – on se dédouble – on devient multiples contre les murs – on est déjà autres et ensemble.

 

Au 3e Jamais Lu Paris vous entendrez les mots de onze auteurs proférés par quarante bouches – notre manière à nous de vous frencher à la québécoise.

Les auteurs sont d’ici – les metteurs en scène sont de là-bas – les artistes se mêlent depuis une semaine et jettent leurs beaux accents dans l’arène. Au lieu de les abolir il les célèbrent – ils font de leurs questions des poèmes et de leurs carences des couplets. Ils brandissent des manuscrits – pas des armes – et leur fière imposture en lieu et place de légitimité. Et c’est avec vous qu’on va se regarder en face – se parler dans le casque – dans la saison où s’endorment les arbres mais pas les idées.

 

Pour que tout cela existe – nous tous ici insoumis rassemblés – il aura fallu pas mal de bonne volonté – des espérances de ouf – de l’entraide à foison et l’aspiration qu’au bout vous seriez au rendez-vous. Notre reconnaissance bouillonne pour Théâtre Ouvert et son équipe embrasante – pour l’équipe du Jamais Lu Montréal toujours à l’avant-poste – pour Artcena qui ne nous dit jamais non – pour la SACD qui s’ajoute aux maillons – pour la Délégation du Québec qui fait pop – pour Espace GO et Air Transat qui complètent l’envolée. Notre gratitude va aussi aux 150 auteurs qui nous ont fait la confiance de nous livrer des textes à peine sortis de leur silence – jamais lus auparavant – des vrais cadeaux vivants qu’on aurait aimé tous vous souffler comme un typhon.

 

Quand on voit ça exister tout à coup c’est l’horizon entier qui se déchire.

Paraît que demain on annonce meilleur.

 

Bienvenue au Jamais Lu, chers vous autres !

 

Marcelle Dubois et Marc-Antoine Cyr

codirecteurs artistiques du Jamais Lu Paris

(avec une accolade à Marie-Ève Perron)