Tunisie-Palestine, voix de femmes

mardi 25 et mercredi 26 novembre 2014

Après les cycles consacrés aux dramaturgies tchèques, finlandaises, et suédoises, Ecritures du Monde et Théâtre Ouvert choisissent pour cette année de présenter deux figures marquantes des scènes tunisienne et palestinienne.

Au-delà des profonds bouleversements que connaissent les deux sociétés, les deux auteures, qui mettent le monde au cœur de l’écriture théâtrale, nous livrent également un regard féminin sur une société où les femmes sont souvent les initiatrices des mouvements de contestation mais elles cristallisent en même temps la haine des fondamentalistes et les crispations sociales. Cependant, en dépit de la montée des intégrismes, des conflits, et même des guerres, les femmes arabes investissent chaque jour davantage les espaces publics, les réseaux sociaux, les places littéraires ou les scènes théâtrales pour faire entendre leurs voix. Avec cette édition nous avons tenu à donner la parole à deux voix singulières venues de deux terres emblématiques : la Tunisie et la Palestine.

LE THÉÂTRE DANS LE MONDE ARABE
par Mohamed Kacimi

Considéré à ses débuts comme un emprunt ou une imitation de la culture occidentale, le théâtre arabe souffre toujours de cette marginalité. C’est un art qui cherche encore sa légitimité dans des sociétés qui ne l’ont ni en mémoire, ni dans leur champ de vision. Si la littérature et le cinéma se sont affranchis quelquefois et ont même bousculé un certain nombre de tabous, le théâtre arabe reste conventionnel dans sa forme et dans son contenu. Cette absence de liberté ou de transgression s’explique par le poids de la religion et par sa pesanteur. Il est très difficile, si ce n’est impossible, sur des scènes de Rabat, du Caire, d’Alger et même de Beyrouth d’aborder la question de Dieu ou de l’amour, sous peine de censure ou d’interdiction. A cela s’ajoute l’absence criante de libertés publiques.
Une fois ces problématiques, la religion, la politique et le sexe, interdites d’accès, la marge de jeu et d’écriture se trouve du coup très ténue. Comment écrire du théâtre quand il est interdit d’interroger les dieux, le pouvoir et le corps ? Comment jouer quand le public hurle dans la salle dès qu’un comédien effleure une comédienne sur scène ? D’où ces écritures scéniques et dramatiques qui recourent à la métaphore de peur d’aborder de front le réel. Autre carence, l’absence d’auteurs dramatiques. Le théâtre aujourd’hui dans le monde arabe est écrit par des metteurs en scène, à partir du plateau et des improvisations. Dans sa forme actuelle, le théâtre arabe est collectif, il est fait par la troupe, commandée par le metteur en scène, pour répondre aux angoisses de la tribu. C’est un art tribal, tout comme la poésie, où l’auteur en tant qu’individu ne peut avoir de place. 
A ces contraintes s’ajoute celle de langue, écrit en arabe classique le théâtre est d’un autre temps, qui s’arrête à Racine. Le recours au dialectal n’est pas plus heureux, car dans ce registre souvent les auteurs-metteurs en scène ont systématiquement recours à l’assonance et là, à force de courir après la rime, ils en oublient le fond.
Alors que dans le théâtre occidental, on a dépassé la notion de personnage au sens classique, pour la remplacer par des ombres, des fantômes ou des chiffres, dans le théâtre arabe le personnage n’existe pas encore. Car l’individu n’a pas encore sa place dans la société. Les personnages, tout comme dans les Mille et une nuits, n’ont pas de vie propre et encore moins de psychologie, ils sont définis par leurs fonctions, le flic, le terroriste, le gauchiste etc….
Il n’existe pas non plus de sociétés d’auteurs et encore moins d’organismes chargés de la perception de leurs droits, je ne parle pas de maisons d’édition. Cependant, la surveillance que subissent les théâtres est draconienne. Au Liban par exemple, où il n’existe pas de bureau de censure pour la presse ou l’édition, il existe une commission de censure très sévère pour le théâtre. Les pouvoirs savent à quel point la scène est sismique dans ces contrées, un baiser échangé ou un gros mot, peuvent provoquer une émeute ou un incendie. Le théâtre est né avec la démocratie pour interroger les dieux sur le mal qu’ils font aux hommes. Dans le monde arabe en attente de démocratie, le théâtre attend pour naître le jour où l’homme arabe sera enfin libre d’interroger Dieu, de l’admonester ou de l’oublier, de lui dire publiquement sa haine ou ses doutes, sans essuyer ses foudres et celles de ses hommes.

Participant·es

Coproduction Ecritures du monde, Théâtre Ouvert
Avec le soutien de l’Institut français de Tunis