Michel Vinaver, il va sans dire

Michel Vinaver, il va sans dire

Samedi 25 juin

Auteur d’une œuvre théâtrale majeure, qui observe et réfléchit le monde, notamment celui de l’entreprise, sur près de 60 ans, depuis sa première pièce Les Coréens en 1955 jusqu’à Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France, Michel Vinaver s’est éteint le 1er mai 2022.

Immense écrivain et dramaturge, universitaire et grand défenseur de l’écriture théâtrale contemporaine, il entretint une grande complicité avec Théâtre Ouvert et ses fondateur·rice·s Micheline et Lucien Attoun pendant des décennies, affirmant notamment :

Je suis parmi les écrivains de théâtre qui « ne seraient pas les mêmes » sans Théâtre Ouvert. Il y aura eu trois rencontres, chacune déterminante pour mon destin d’auteur : en 1972-73, mise en espace en Avignon puis mise en scène à Paris de La Demande d’emploi (j’étais resté injoué depuis quinze ans) ; en 1979-80, mise en espace en Savoie / Lorraine puis mise en scène à Paris des Travaux et les jours ; en 1986, mise en scène des Voisins.
Dans Écrits sur le théâtre – 2. L’Arche Editeur

Pour approcher cette écriture singulière et rendre compte de son actualité non démentie, Théâtre Ouvert vous invite le 25 juin à une traversée en trois temps.

 

LES TRAVAUX ET LES JOURS : SUR LA MISE EN ESPACE

« Je n’ai pas pu assister aux douze journées de répétitions. Lorsque j’ai rejoint les comédiens à Annecy, juste avant la première présentation publique, ils m’ont dit que les trois premières journées avaient été un chaos informe, rien ne se dégageait ; que les sept suivantes, « ça a marché » ; et que les deux ou trois dernières avaient été… presque de trop.
Lorsque j’ai assisté à la représentation, j’ai eu un choc. Il ne s’agissait pas de l’ébauche d’un spectacle, mais d’un objet théâtral accompli auquel rien ne manquait. C’est de cette façon, aussi, que la plupart des spectateurs — au cours des dix présentations suivies de débats — ont réagi. C’était troublant. Rien ne manquait et même au contraire : une qualité était là qu’on trouve si peu souvent au théâtre : celle d’une adéquation du propos scénique au texte, sans la moindre surcharge ; celle d’une urgence qui ne laisse passer que l’indispensable, donc une super légèreté et une super-rigueur ; celle de comédiens se mettant complètement en danger…
Alors, on se demande s’il n’y a pas là quelque chose (dans la précarité et l’emportement d’un travail rapide et non fixé) que grâce à la formule de Théâtre Ouvert on découvre, qui n’a pas « droit de cité » dans la conception actuelle du théâtre, et qui est la plus jouissante épreuve qui pusse arriver à un texte : être transmis en état encore de fusion aux spectateurs. Non fixé, disais-je. C’est la limite de la formule. Après quelques représentations, les comédiens sont à bout de leur réserve d’énergie.
Une mise en espace ne peut avoir qu’une durée de vie éphémère. Mais l’auteur se surprend à espérer que la mise en scène proprement dite, qui empruntera peut-être des voies tout à fait différentes, saura aboutir aux mêmes degrés de justesse et d’intensité. »
Dans Écrits sur le théâtre – 1. L’Arche Éditeur
Ce texte a paru dans Écritures, bulletin « Théâtre Ouvert » N°8, en juin 1979

ATTOUN

« Attoun est le nom d’un dieu, apparu parmi la population des gens de théâtre en l’an 1971 […]. Un dieu mais pas, comme celui des grandes religions ayant survécu en Occident jusqu’à ce jour, infini dans ses attributs et insaisissable dans ses contours. Un dieu au contraire d’une présence tangible et, tiens, je pense à Hermès… 
[…] Au travers du mythe, le profil d’Hermès qui se dessine est celui d’un héros culturel qui compense la faiblesse de ses moyens par une prodigieuse capacité inventive, un pragmatisme sans faille, un opiniâtre esprit d’entreprise et, au service de celle-ci, une ingéniosité qui trouve problème sa solution. 
[…] Théâtre Ouvert aura déployé son action en faveur du « théâtre d’auteurs » en ne cessant de multiplier les initiatives, d’exploiter les opportunités, de varier les formules, brefs d’inventer. Son accomplissement, ce ne sont pas seulement les très nombreuses œuvres qui grâce à lui ont pu se faire connaître ; c’est peut-être surtout qu’à force de faire connaître ce qu’il fait, Théâtre Ouvert a contribué à déclencher ce « mouvement subtil » en train de s’opérer dans l’establishment théâtral : l’écrivain de théâtre s’aperçoit qu’il recommence à être à l’objet d’une attente et d’une demande ; qu’il reprend du poids ; que le retour au texte est « dans l’air » »
Dans Écrits sur le théâtre – 2. L’Arche Éditeur