TÉMOIGNER

ELISE WILK (autrice roumaine) 
suite à la présentation de sa pièce Avions en papier à Théâtre Ouvert le 24 novembre 2017

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Coïncidences, Alain Delon et l’immigration des travailleurs

En avril, Fanny Chartres m’a écrit sur Facebook. Elle voulait traduire ma pièce Avions en papier en français. Peu après, j’ai reçu un mail de Caroline Marcilhac, directrice de Théâtre Ouvert à Paris. Elle me demandait s’il existait une traduction française de ma pièce. Cette heureuse coïncidence a rendu possible une mise en voix en novembre 2017. 

Avions en papier (écrit en 2015) a déjà été produite par plusieurs théâtres publics et compagnies indépendantes en Roumanie, mais la mise en espace d’Eugen Jebeleanu fut la première lecture de la pièce dans un autre pays.

Pendant la performance, je me suis rendue compte que le problème des parents roumains qui travaillent à l’étranger, surtout en Italie et en Espagne, et qui laissent chez eux des millions d’enfants, n’est pas très connu en France et j’ai pensé que cela pourrait donner lieu à un problème de réception de la pièce pour le public.

Quand un enfant ou un adolescent en Roumanie vous dit « Mes parents sont en Espagne », tout le monde comprend qu’ils travaillent là-bas. Mais quand un adolescent français vous dit « Mes parents sont en Espagne », ça a un sens complètement différent. En fait, l’idée c’est : « Mes parents ne sont pas là ». Et la pièce parle de ça. Même si les spectateurs n’avaient aucune idée des problèmes spécifiques à la Roumanie, ils connaissaient les agressions, la violence à l’école, le premier amour, la peur de ne pas être accepté – parce que ces problèmes sont universels.

Et ce qu’il y avait d’amusant avec Alain Delon, qui apparaît dans la pièce sous la forme d’un poster sur le mur, c’est qu’un jeune Roumain de 16 ans ne le connaît peut-être pas, alors qu’en France tout le monde le connaît.

Ce fut une bonne lecture, j’ai aimé l’idée d’Eugen Jebeleanu de projeter des images de films sur l’adolescence, de Elephant de Gus Van Sant à Bacalaureat de Cristian Mungiu.

J’ai aussi beaucoup apprécié les discussions que j’ai eues avec quelques spectateurs après la performance ainsi que la rencontre avec deux classes de lycées parisiens.

Peut-être ne savaient-ils que peu de choses à propos du problème de l’immigration pour le travail en Roumanie, mais la lecture à Théâtre Ouvert m’a fait comprendre qu’Avions en papier, au delà d’être une pièce sur l’immigration, la pauvreté et des problèmes spécifiques à la Roumanie, était d’abord une pièce qui parlait du fait de grandir.

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Regard des traductrices

Avions en papier est un texte coagulé autour de problèmes d’adolescents qui réagissent par un comportement confus, voire cruel. En cela, l’école devient un champ de bataille dont on survit. Ou pas. La pièce aborde ainsi un phénomène social qui semble sans remède : le harcèlement (physique, verbal et émotionnel) à l’école. En parallèle, chaque élève d’Avions en papier vit une histoire triste et douloureuse à l’endroit qu’il nomme « maison ». Les temps sont durs pour les parents mais encore plus pour les enfants qui ne peuvent profiter d’un cadre familial propice à l’épanouissement, qui vont à l’école sans amour et qui ne renoncent pourtant pas à le chercher. Le texte d’Elise Wilk aborde avec une sensibilité singulière les problèmes des jeunes à l’école et au sein de leurs familles. Par une construction intelligente qui permet d’entrer dans les pensées des personnages, Avions en papier explore d’une manière lucide et drôle le monde des adolescents à la recherche d’une place dans une société toujours plus dure et plus indifférente, où les parents, contraints de travailler à l’étranger, abandonnent leurs enfants. La violence et la cruauté qui traversent leurs relations cachent des traumatismes profonds, quand même les persécuteurs les plus endurcis espèrent encore qu’une merveille surgisse dans leurs vies. 

Avions en papier n’est pas une pièce sur les enfants dont les parents sont partis travailler à l’étranger. Ce sujet représente seulement l’arrière-plan du texte qui est en premier lieu une histoire sur l’adolescence en général. 

L’auteure ne se complaît jamais dans la noirceur. Elle écrit dans une langue subtile et légère malgré des personnages en souffrance, elle compose « à hauteur » des adolescents de 13 à 18 ans. Un texte entièrement dédié à ceux qui, après la séparation, se demandent comment vivre sans. 

La pièce d’Elise Wilk émeut par ce mélange paradoxal et parfaitement maîtrisé de fantaisie et de cruauté avec lequel elle évoque les problèmes des adolescents dans le contexte bien réel de la Roumanie contemporaine et parle avec force et subtilité des liens qui unissent des êtres confrontés à l’éloignement, à la perte de repères, au manque d’amour.

 Fanny Chartres et Alexandra Lazarescou